Pour la visite de l’exposition « Cathares ». Toulouse dans la croisade, nous vous conseillons vivement de prendre votre billet en ligne afin d’éviter l’attente en caisse.

Le musée sera ouvert au public le mercredi 8 et le jeudi 9 mai, aux horaires habituels.

Un stratège qui a du nez

Ce portrait nous montre un Auguste serein, solennel, jeune et beau. Jeune, vraiment ? Eh bien pas forcément… Car c’est ainsi qu’il s’est fait représenter de ses 36… à ses 77 ans !

Buste représentant Auguste. Le portrait est réalisé en marbre blanc et représente le personnage jusqu’à la naissance des épaules. Auguste a la tête légèrement tournée vers la droite. Son visage est imberbe, il est représenté jeune. Ses lèvres fines dessinent un léger sourire. Le nez de la statue est cassé. Les pupilles ne sont pas sculptées, il a les yeux ouverts mais lisses. L’expression d’Auguste reflète le calme et la détermination. Sur son front des mèches de cheveux sont très nettement sculptées. Au-dessus de son œil droit, elles sont opposées et forment ainsi une pince. Les mèches laissent les oreilles découvertes. Au-dessus de la tête est posée une couronne de chêne dont les rubans qui permettent de tenir les branches entre elles retombent délicatement sur les épaules, vers l’avant du buste.
Photo : Daniel Martin (Licence ouverte-Etalab).

Pourquoi utiliser un seul et même portrait durant plusieurs décennies quand on a les moyens d’en changer tous les quatre matins ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord savoir qui est représenté. Et pour savoir comment s’appelle ce personnage, ce n’est pas non plus tout simple : né sous le nom de Caius Octavius (Octave en français), il est désigné comme héritier par son grand oncle Jules César. À partir de l’assassinat de César, en 44 avant notre ère,  il devient Octavien. Il faut attendre 27 avant notre ère pour qu’on l’appelle Augustus, tout simplement car il ne s’agit pas d’un prénom, mais d’un titre !

Ce titre d’Augustus lui est donné par le Sénat, qui lui a remis au même moment la couronne civique (corona civica). C’est cette couronne que porte Auguste sur ce portrait. Il ne s’agit pas d’une couronne de laurier, remise aux généraux victorieux, mais d’une couronne de chêne, l’arbre de Jupiter/Zeus. Cette couronne est plus prestigieuse encore que celle de laurier : elle est remise à celui qui a sauvé la vie d’un citoyen romain. Or, Auguste la reçoit car il a sauvé ni plus ni moins que Rome, en mettant fin aux guerres civiles (et, au passage, à la République, en prétextant la restaurer).

Après avoir récupéré de nombreux pouvoirs (politiques, militaires et religieux) au fur et à mesure des années, ainsi que plusieurs titres honorifiques, Auguste devient le premier empereur romain. Il veut alors montrer qu’une nouvelle ère de paix débute, et incarner des valeurs traditionnelles romaines comme la vertu, la piété, la clémence ou le sens de la justice.

Cette idée d’un nouvel Âge d’or se retrouve dans les Arts. Ce portrait, inspiré de l’art classique grec, permet de donner une image immuable de l’empereur. Cette jeunesse éternelle est le reflet de la stabilité de l’Empire.

Cette image d’un Auguste idéalisé et portant une couronne honorifique n’est donc pas anodine. Il s’agit d’une image de propagande qui donne de la légitimité à cette nouvelle forme de pouvoir. Elle a d’ailleurs été très largement diffusée dans tout l’Empire : son modèle a été copié et diffusé sur des centaines de statues en buste ou en pied, et se retrouvait aussi bien dans l’espace public que, comme ici, dans des demeures privées.

LE PETIT + AU MUSÉE

À proximité du buste d’Auguste, retrouvez les monnaies qui le représentent également. Un dispositif numérique vous permettra de comparer les portraits des monnaies et des statues. Vous verrez ainsi comment il est possible d’identifier un portrait sculpté à partir de monnaies.

FICHE TECHNIQUE

Désignation

Buste d’Auguste couronné de chêne

Matériau

Marbre lychnites (île de Paros)

Lieu de découverte

Villa de Chiragan (Martres-Tolosane)

Date de fabrication

Première moitié du Ier siècle

Numéro d’inventaire

Ra 57

Localisation

Parcours permanent, 1er étage

POUR ALLER PLUS LOIN

[Mathieu Scapin, médiateur culturel au Musée Saint-Raymond]

Quand on regarde les portraits sculptés en marbre présentés au musée Saint-Raymond, on se demande toujours pourquoi ces statues ont le nez cassé. Je vous l’explique dans « L’œil des médiateurs ».

[Titre : Dans l’œil des médiateurs]

Le musée Saint-Raymond expose de nombreuses sculptures parmi lesquelles des portraits romains en marbre. Ils ont été mis au jour au XIXe siècle lors des fouilles de la villa de Chiragan à Martres-Tolosane, au sud de Toulouse. Il s’agit de la plus grande villa romaine découverte en France à ce jour.

Certains de ces portraits représentent des empereurs et leur entourage et étaient sculptés dans des ateliers proches du pouvoir impérial à Rome. 

Auguste, Trajan ou encore Septime Sévère… Rendez-vous compte, la moitié des bustes découverts en Gaule provient de Chiragan. C’est dire l’importance de cette villa. 

Quand on se promène au milieu de la galerie des portraits du musée Saint-Raymond, on se pose toujours la même question : pourquoi certaines de ces statues n’ont-elles pas de nez et pourquoi certaines d’entres elles ont un trou à la place de leur appendice nasal ou parfois même une tige en  fer en plein milieu de la figure ?

Grosso modo, la tête c’est comme une boule mais avec une partie saillante, le nez. 

Nos bustes sont faits de marbre. C’est un  matériau difficile à travailler pour le sculpteur, mais relativement fragile en cas de choc.

Dans le cas de la villa de Chiragan, le contexte de découverte est assez singulier. Au moment de l’abandon de la villa, les portraits ont été jetés et entassés dans des fosses. C’est certainement à ce moment-là que les nez ont été brisés. 

Rien d’étonnant, donc, à ce que la majorité  de nos bustes soit dépourvue de leur appendice nasal. Imaginez-vous les mains attachées  derrière le dos et quelqu’un, vous pousse violemment en avant : il y a de grandes chances pour que ce soit votre nez qui casse en premier. 

Une explication bien différente donc des nez mutilés de l’Égypte antique.  

En effet selon les spécialistes de la  statuaire égyptienne, abîmer une statue, c’était s’en prendre à la personne représentée  car pour ces populations anciennes, les images  sont puissantes et porteuses de sens. Elles remplacent la personne réelle. Dans ce cas, casser le nez de la statue, c’est empêcher la personne qu’elle représente de respirer.

Une autre statue illustre un acte volontaire de mutilation : il s’agit d’une Vénus découverte sur l’agora d’Athènes. On remarque très distinctement qu’une croix a été gravée, depuis le front de la statue jusqu’à la bouche, détruisant le nez. Il s’agit probablement de l’action d’un chrétien désirant montrer que les idoles païennes n’ont plus raison d’être dans une région désormais christianisée.

[Exemples de croix gravées sur le front d’une statue d’Auguste et d’un portrait de Germanicus]

Dans l’Antiquité, les mutilations des statues étaient prises au sérieux, surtout lorsqu’elles touchaient des  représentations divines. C’est le cas notamment de la fameuse affaire des Hermocopides, qui a eu  lieu en 415 avant notre ère à Athènes, pendant la guerre du Péloponnèse.

Pour faire court, un herme, c’est un pilier surmonté de la tête du dieu Hermès. Il était disposé le long des routes et des  carrefours, en signe de protection. Sur le pilier était aussi sculpté un sexe masculin en érection. Si cette histoire grecque a fait scandale, c’est qu’avant leur départ pour la Sicile, les Athéniens ont retrouvé ces piliers mutilés.  

L’archéologie et les textes anciens n’arrivent pas à se mettre d’accord : avait-on détruit les nez, le sexe ou les deux appendices de ces statues ? 

Quel qu’en soit le résultat, l’origine de ce vandalisme semble se trouver soit dans l’opposition politique entre Corinthe et Athènes, soit tout simplement dans une parodie potache d’un culte à mystères. On voit ici, encore une fois, tout le sacrilège qui entoure la mutilation des statues dans l’Antiquité.

Mais revenons à nos bustes. Que peut-on dire  des morceaux de fer ou des trous présents dans les nez des bustes de Chiragan ? D’abord, lors de leur découverte, il était important de les présenter au public. Mais surtout, il était hors de question d’exposer des sculptures incomplètes, ce qui aurait gâché le plaisir de les admirer.  C’est pourquoi, il a été décidé de leur ajouter un faux nez, vers la fin du 19e siècle. La solution retenue fut celle de percer à l’emplacement du nez disparu, des trous à l’aide d’un trépan, qui est un outil ressemblant à un foret. Mais avant, on a retaillé et lissé les zones cassées, afin de faciliter le travail de restauration. 

Une fois ce travail préparatoire fait, on a donc intégré à ces trous une pointe en fer, servant de fixation au nouveau nez en plâtre ou en marbre. 

Mais le fer rouille abîmant irrémédiablement le marbre de l’intérieur. C’est pourquoi, au cours du XXe siècle, on a décidé de dé-restaurer chaque buste ayant reçu un faux nez. Certains trous ont pu être rebouchés comme c’est le cas ici, d’autres non. Les restaurateurs avaient estimé  qu’essayer de retirer la tige en fer ferait plus de mal que de bien à l’œuvre.

Aujourd’hui au  musée, vous pouvez donc observer des portraits qui portent les traces de leur histoire. Et en parlant de traces, saviez-vous que ces statues étaient à l’origine colorées ? Des chercheurs travaillent actuellement à la redécouverte des pigments qui recouvraient Auguste, Trajan ou Marc Aurèle. Mais cela, je vous en parlerai une autre fois.

[Générique de fin crédits photographiques, musical (Middle Earth et Dark Mystery, Jason Shaw – musique par audionautix.com, CC BY-SA 4.0, logos du Musée Saint-Raymond et de la Mairie de Toulouse]